Depuis le « syndrome transsexuel » des années 1950 jusqu'au paradigme non-binaire très récent (Marchand, 2024c), la compréhension du genre s'est déplacée d'un modèle d'alignement binaire à une conception dynamique et plurielle. Cette communication, fondée sur une revue interdisciplinaire de la littérature en cours, retrace cette évolution et met en lumière les questions inédites que les vécus non-binaires, gender-fluid ou agenres adressent aux théories du psychisme. Son objectif est de suivre pas à pas la trajectoire historique qui conduit d'un ancrage strict de l'identité de genre dans le sexe et le corps biologique à son découplage progressif, et de montrer comment ce déplacement reconfigure aujourd'hui nos modèles cliniques et épistémologiques.
Cette trajectoire historique s'accompagne d'une mutation des repères identificatoires. Le discours « je peux être l'un ou l'autre, ni l'un ni l'autre, selon les moments » déstabilise les modèles psychanalytiques centrés sur la différence des sexes ou la bisexualité psychique (Marchand, 2019b).
Parallèlement, l'idée d'une plasticité du corps fantasmatique (mais d'ailleurs, est-ce celle du corps ou du genre indépendamment de celui-ci ?) se déploie selon la logique d'états transitoires ou simultanés. Les travaux sur la réalisation pulsionnelle par la perception (Marchand, Pelladeau & Pommier, 2019) montrent que l'identité et l'image du corps ne visent plus nécessairement une destination sexuée stable.
Les récits non‑binaires, décrits par Poirier et al. (2019) comme pluriels et réversibles, révèlent un élargissement du champ symbolique qui invite à repenser les dispositifs d'élaboration psychique afin d'accueillir des positions mouvantes sans les re‑binariser.
Ces évolutions soulèvent d'importants enjeux épistémologiques pour la psychologie : quel est le statut psychique d'un genre vécu par fragments ? Comment penser l'identité quand ses signifiants se reconfigurent d'une situation à l'autre ? La non‑binarité oblige‑t‑elle à transformer la notion même d'identité ? Ces interrogations rejoignent l'appel de D'Angelo (2025) à maintenir l'exploration psychique des divers potentiels de l'identité.
En conclusion, j'esquisserai une lecture historique articulant contributions biologiques et sociologiques, mais centrée sur la subjectivation psychique : la non-binarité agirait-il comme révélateur des zones aveugles de nos modèles, invitant à penser le genre comme un processus en autopoïèse (Fausto‑Sterling, 2019).
Bibliographie indicative :
D'Angelo, R. (2025). Do we want to know? International Journal of Psychoanalysis, 106(1), 82‑108.
Fausto‑Sterling, A. (2019). Gender/sex, sexual orientation, and identity are in the body: How did they get there? Journal of Sex Research.
Marchand, J.‑B. (2019b). Actualités et questionnements théorico‑cliniques à propos de l'incongruence de genre chez l'enfant et de la parentalité. Dialogue, 224, 151‑166.
Marchand, J.‑B., Pelladeau, E., & Pommier, F. (2019). Transsexualism and transgenderism: Unravelling sex and gender, and abstractions of the sexed body. International Journal of Psychoanalysis, 100(2), 206‑228.
Marchand, J.‑B. (2024c). Le genre et la psychanalyse : un rendez‑vous manqué ? Topique, 160(1), 151‑168.
Poirier, F., Condat, A., Laufer, L., Rosenblum, O., & Cohen, D. (2019). Non‑binarité et transidentités à l'adolescence : une revue de la littérature. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, 67, 268‑285.