Le phénomène social des femmes sans-domicile "invisibles" remue les sensibilités politiques et médiatiques (1), en laissant flâner un malaise sur ces questions muettes de notre Culture. Qui sont-elles ? Comment échouent-elles sur les rues ? Comment les aider à s'en sortir ou bien, pour paraphraser, en prenant en compte les fantasmatiques inconscientes subjacentes, comment les faire "disparaître" de notre champ visuel ? Puisque, en se situant au croisement intersectionnel des catégories sociopolitiques de genre, de race, d'âge, de classe et de statut migratoire, les femmes sans-domicile cumulent les vulnérabilités, les traumas et les violences (réelles comme fantasmatiques)(2) de la part du socius, caractérisant les expériences subjectives de ce féminin extrêmement précaire comme la clinique de l'extrême. Tandis que les études sociologiques soulignent l'urgence d'intervention sur les multiples inégalités que subissent les femmes sans-domicile, l'objet même de cette recherche nous a été inspiré par les recherches féministes, ethnographiques et historiques qui révèlent la polarisation de l'imaginaire collectif entre les représentations clivantes de la "mère au foyer" idéalisée et de la femme itinérante désidéalisée, jugée criminelle ou prostituée(3). Cette mise en tension entre le dedans enveloppant du corps féminin et le dehors urbain crée un vide représentationnel qui "invisibilise" ou refoule ce féminin extériorisé, le rendant impensable. Les cycles historiques de "réapparition" de ce symptôme social(4) rappelant le retour du refoulé, ainsi que le sentiment des femmes et des professionnels de « tourner en rond », nous ont encouragé de rompre le silence en appliquant la méthodologie projective (Rorschach et TAT) et les études de cas afin de sortir des impasses du manifeste et de proposer une autre qualité d'écoute. Dans cette présentation, nous voudrons exposer nos premiers résultats et réflexions portant sur le vécu traumatique des femmes en grande précarité qui fréquentent les dispositifs d'accueil inconditionnel.
(1) Notons le récent rapport de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes Evren, A. et al. (rapporteurs). (2024). Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Rapport d'information n° 15 (2024-2025), tome I, déposé le 8 octobre 2024, mais également les études françaises et internationales récentes, par exemple, Loison-Leruste & Perrier (2019) ; Bretherton & Pleace (2021) ; Lyons & Smedley (2021) ; Sadeghipouya (2023) ; Webster (2023) ; Wright et al. (2024).
(2) Exemples des études récentes sur la question de la violence genrée contre les femmes sans-domicile : Braud & Loison-Leruste (2022) ; Calvo et al. (2022) ; Schmidt (2024).
(3) Wardhaugh, J. (1999). The Unaccommodated Woman: Home, Homelessness and Identity. The Sociological Review, 47(1), pp. 91-109 ; O'Brien, A. (2018). “Homeless” women and the problem of visibility: Australia 1900–1940. Women's history review, 27(2), pp. 135–153.
(4) O'Brien, A. (2022). Homelessness as a Feminist Issue: Revisiting the 1970s. Australian Feminist Studies, 37(112), pp. 134-151.
(5) Mayock, P., Sheridan S. & Parker, S. (2015). “It's just like we're going around in circles and going back to the same thing ...”: The Dynamics of Women's Unresolved Homelessness. Housing Studies, 30(6), pp. 877–900.
Bibliographie :
Braud, R, & Loison-Leruste, M (2022). Le sans-abrisme au féminin. Quand les haltes pour femmes interrogent les dispositifs d'urgence sociale. Travail, genre et sociétés, 1(47), pp. 131-147.
Bretherton, J. & Pleace, N. (2021). Women's Homelessness in Camden: Improving Data, Strategy and Outcomes. Single Homeless Project (SHP) London. Retrieved from : https://pure.york.ac.uk/portal/en/publications/womens-homelessness-in-camden-improving-data-strategy-and-outcome
Calvo, F., Watts, B., Panadero, S., Giralt, C., Rived-Ocaña, M. & Carbonell, X. (2022). The Prevalence and Nature of Violence Against Women Experiencing Homelessness : A Quantitative Study. Violence Against Women, 28(6-7), pp. 1464-1482.
Evren, A., Phinera-Horth, M.-L., Richard, O. & Rossignol, L. (rapporteurs). (2024). Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Rapport d'information n° 15 (2024-2025), tome I, déposé le 8 octobre 2024. [Rapport de la délégation sénatoriale aux droits des femmes].
Loison-Leruste, M. & Perrier, G. (2019). Les trajectoires des femmes sans domicile à travers le prisme du genre : entre vulnérabilité et protection. Déviance et Société, 43(1), pp. 77-110.
Lyons, G. & Smedley, C. (2021). The new face of homelessness? Examining media representations of women's homelessness in five Australian news sources. Journal of Social Distress and Homelessness, 30(1), pp. 28-40.
Mayock, P., Sheridan S. & Parker, S. (2015). “It's just like we're going around in circles and going back to the same thing ...”: The Dynamics of Women's Unresolved Homelessness. Housing Studies, 30(6), pp. 877–900.
O'Brien, A. (2018). “Homeless” women and the problem of visibility: Australia 1900–1940. Women's history review, 27(2), pp. 135–153.
O'Brien, A. (2022). Homelessness as a Feminist Issue: Revisiting the 1970s. Australian Feminist
Studies, 37(112), pp. 134-151.
Sadeghipouya, M. (2023). Des femmes trans sans domicile fixe à Téhéran engagées dans le travail du sexe : des trajectoires d'outsiders. Genre, sexualité & société, Hors-série n° 4, pp. 1-20.
Schmidt, K. (2024). Corporeo-cartographies of homelessness: women's embodied experiences of homelessness and urban space. Gender, Place & Culture, pp. 1-23.
Wardhaugh, J. (1999). The Unaccommodated Woman: Home, Homelessness and Identity. The Sociological Review, 47(1), pp. 91-109.
Webster, C.S. (2023). Les femmes SDF: Agency and Verisimilitude in Contemporary French Film. Contemporary French and Francophone Studies, 27(3), pp. 347-356.
Wright, S., Hughes, K., Greenhalgh, E. & Campbell, L. (2024). Women's Rough Sleeping Census 2023. Change Grow Live. Retrieved from: https://www.solacewomensaid.org/womens-rough-sleeping-census/